Tout a commencé l’année dernière, au mois d’août, alors que je revenais en urgence de chez les anglais pour profiter des restes de notre système de santé national. Comme je trainais un peu la patte, j’avais passé le plus clair de mon temps à l’obscurcir devant l’écran de mon ordinateur.
D’un naturel heureux, pour ne pas dire insouciant, j’avais très logiquement jeté mon dévolu sur des sites traitant de l’imminente fin du monde et de l’inévitable inconfort matériel qui allait en découler. Tout allait pour le mieux dans la meilleure des inconséquences virtuelles quand nous eûmes, un autre forumeur et moi, l’idée inconcevable de nous voir pour de vrai.
Il faut dire que nous avions longuement discuté par claviers interposés de deux textes étranges de gens bizarres qui s’intéressaient, fort incongrûment, en pleine civilisation numérique, à la terre. Enfin, je veux dire, au sol. Ce truc salissant qui recouvre la surface de notre planète dans les lieux pas encore vraiment civilisés. Le premier avait une excuse : il avait écrit son texte en 1994, une époque où j’avais même pas internet, et où il était encore permis à un scientifique de gaspiller son intelligence dans des domaines aussi éloignés de la vraie science que l’agrologie. Le second avait une excuse aussi : il était Californien, ce qui à soi seul autorise toutes les excentricités. Le premier était diffusé sur Passerelle Eco. Le second, traduit par Kokopelli.
Toujours est-il qu’après lecture de ces deux textes, nous nous étions retrouvés dans un jardin, non pas à deux, mais à vingt, pour étudier l’intérêt d’élever des vers de terre dans un contexte d’apocalypse post-capitaliste. Et voila-t-il pas qu’après la poire, nous nous quittons en jurant de trouver quelques dizaines de mêtres carrés de jardins en région parisienne pour mener nos expériences. Car ce que préconisait l’excentrique Californien qui avait tant contribué à nous mobiliser, c’était d’expérimenter sur de petites surfaces les géniales méthodes de cultures qu’il préconisait, en vue de les enseigner au plus grand nombre. Ce qui permettrait de passer dans l’insouciance le cap difficile de la fin du monde en grignotant nos navets bios et sirotant le vin de nos tonelles.
Je m’apprêtais déjà à passer au peigne fin toute la surface de la petite couronne pour y trouver le lieu de nos exploits quand quelqu’un nous parla des murs à pêches de Montreuil. Où j’ai mis les pieds en octobre, sans plus jamais depuis pouvoir les en retirer. On y plantait des trucs, on y buvait d’autres trucs, on y reconstruisait des murs pour y clouer des arbres. Lieu étrange entre les barres d’immeubles, où les déchets de l’industrie se mêlaient aux restes de ce qui avait été un haut lieu de l’arboriculture mondiale. Inutile de dire qu’on ne passe pas dans un lieu pareil sans risquer d’y perdre sa liberté.
D’autant plus qu’après quelques mois passés à bêcher la terre avec une des associations du lieu, on nous dit que l’association voisine abandonne son projet, et qu’il nous est possible de le reprendre. Ce sont presque 500m2 qui sont abandonnés là. Et tout s’emballe alors.
Nous sommes alors quelques-uns à venir travailler sur ce nouveau lieu, et très vite, le projet s’étoffe : permaculture, recyclage et compostage, lieu de formation, d’insertion, site internet… Le projet grandit très vite. Il faut créer une association. Le Californien fou s’appelait John Jeavons. Son article sur Kokopelli, celui qui nous a tous menés là, était intitulé « Sens de l’Humus« . Notre projet sera donc « Le Sens de l’Humus ».
Et voilà comment on se retrouve à draguer dans le métro avec des chaussures pleines de boue et des pantalons qui sentent le fumier et le purin d’ortie.
Fabien
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À propos des articles « fondateurs » que tu cites, tu n’en donnes qu’un seul, voici les autres :
Celui de John Jeavons est en deux parties, ici :
http://www.kokopelli.asso.fr/actu/new_news.cgi?id_news=11
http://www.kokopelli.asso.fr/actu/new_news.cgi?id_news=12
Et celui de Claude Bourguignon, sur la microbiologie des sols :
http://www.passerelleco.info/article.php3?id_article=113