On a rencontré des agricoolteurs

Les plans de Jeuf, ça fait toujours un peu peur. Alors, se retrouver à l’aube à la gare d’Austerlitz pour aller visiter un agriculteur en semi direct sous couvert qu’il a rencontré sur un forum, ça me laissait pas tranquille. D’ailleurs, j’ai pas trop bien dormi, et j’ai pris le métro persuadé que c’était une blague, qu’il n’y aurait pas Jeuf à la gare, que le semis direct sous couvert, ça n’existe pas, et que j’allais pouvoir retourner me coucher.

Manque de bol, y’avait Jeuf à la gare, et nous voilà partis pour une destination lointaine tout au bout d’une ligne de RER. Je vous passe la traversée de la banlieue dans le petit matin, si vraiment vous voulez les détails, envoyez-moi un message en privé. Toujours est-il qu’on arrive à la gare de la lointaine destination et que vient nous chercher l’agriculteur le plus cool que j’aie croisé ces dernières années (faut dire que les agriculteurs que j’ai croisés ces derniers temps étaient un peu tendus). Les agriculteurs vraiment cools, on les trouve sur Agricool, et nulle part ailleurs.

Et voilà qu’on débarque dans une ferme avec des tas de grosses machines. Mais des machines cool. C’est quoi, une machine cool ? C’est une machine qui caresse délicatement les sols au lieu de les éventrer. Une machine qui fait plus labour, mais qui sème encore, comme le proclament les t-shirts des agricoolteurs. Ludovic, le maître des lieux, pratique depuis quelques temps le semis direct sous couvert végétal. C’est-à-dire qu’après la moisson, au lieu de remassacrer sa terre en la labourant, il sème directement des engrais verts au milieu des chaumes, avec une de ses machines de précision, et plus tard, il sèmera directement ses cultures au milieu de ces engrais verts, après les avoir calmés un peu avec des méthodes chimiques modérées, ou physiques, ou biologiques (si je dis une connerie, les agricoolteurs, reprenez-moi, les grandes cultures, c’est pas mon rayon).

Toujours est-il que les agricoolteurs passent la matinée à s’extasier devant les machines cool, à se donner des chiffres ésotériques, des numéros de modèles, à se taper dans le dos et à pas écouter ce que raconte Ludovic. Nous, les micro-jardiniers du dimanche, on fait semblant de comprendre et on pose des tas de questions. On finit la visite par un tracteur préhistorique que la ferme a dans sa collection (vous aurez les fotos plus tard, mon appareil est lui aussi préhistorique, avec des pellicules qu’il faut faire développer, tout ça…), et on passe aux choses qu’on comprend mieux : l’apéro.

C ‘est dans les moments critiques comme ça qu’on reconnaît le vrai agriculteur cool. Et ceux-là, je peux vous garantir qu’ils étaient vraiment très très cools. En plus, ils étaient bien vingt-cinq à s’être donné rendez-vous là, et comme je suis un garçon bien élevé, j’ai goûté à toutes les spécialités (seulement les liquides, hein, faut pas manger n’importe quoi, non plus, la diététique, c’est important). Après m’être fait remarquer en allant faire une sieste express à l’ombre d’un arbre du jardin, on est repartis pour la deuxième étape de la visite : les cultures.

On reconnaît les champs d’un agricoolteur au bordel apparent qui y règne. Là, pas de semis au cordeau au milieu d’une terre quasi-sahélienne. Mais des semis au cordeau au milieu d’herbes folles. Enfin, folles en apparence, parce que les agricoolteurs, ils ne laissent rien au hasard : on plante des espèces capables de fertiliser et décompacter les sols, de leur rendre une vie organique, de les protéger de la pluie, d’étouffer les « mauvaises » herbes, et dont on sait qu’elles seront faciles à calmer le jour où il faudra semer autre chose. Ici, phacélie, moutarde, graminées, navette, légumineuses…

Le résultat, c’est que le sol retrouve petit à petit ses qualités détruites par des décennies de cultures de massacre : vie organique de retour, décompaction, une petite couche d’humus à la surface… Il faudra des années, bien sûr, pour que le sol approche son optimum, mais déjà les rendements obtenus se rapprochent de ceux de l’agriculture de labour, avec une dépense en énergie et en temps de travail divisée grosso-modo par deux.

Ce qui pose un problème évident de désertification rurale : Ludovic est bien conscient que le fait de pouvoir cultiver tout seul ses 250ha de plaine n’est pas la meilleure façon de rendre la vie à ces lieux. Mais très vite, les solutions se dessinent : les plantes qui couvrent le sol en permanence attirent à nouveau une faune variée. Les insectes pullulent. Il n’y a pas un seul apiculteur dans le secteur. Il deviendrait possible d’en installer un… Le semis direct sous couvert, parce qu’il introduit beaucoup de carbone dans le sol, crée un déficit en azote, qu’il faut combler par un apport soit chimique, soit organique, mais dans tous les cas importé. Il faudrait un apport de fertilisant animal. Or, les couverts végétaux feraient un fourrage tout à fait acceptable. Sur 250ha, on pourrait installer un éleveur, qui laisserait pâturer ses bêtes sur les couverts et fertiliserait les terres. Pas forcément facile à gérer, mais faisable… Le lieu manque sérieusement d’arbres. L’élevage nécessiterait des clôtures. Planter des haies autour des parcelles, apportant une production supplémentaire, contribuant à la fertilisation des sols, et empêchant le bétail de divaguer, pourrait justifier la création d’un emploi d’arboriculteur, et fournirait un abri pour les ruches de l’apiculteur…

Enfin, tout ça, c’est des divagations, faudrait que je plante des haies à mon imagination.

En tout cas il me semble que Ludovic a retrouvé, lui aussi, et à grande échelle, le sens de l’humus. On y retournera.

Les photos de la recontre Agricool sont enfin là !

Ludovic avant la Palinka (notez le teint pâlot, la mine désespérée. .. Rien à voir avec Ludovic après la Palinka. Malheureusement, il n’existe pas de photo de Ludovic après la Palinka, personne n’étant en mesure de tenir un appareil photo à ce moment-là).

ludovic-avant-la-palinka.jpg

Sous des dehors volontiers revêches, cette machine est cool. D’ailleurs, elle prodigue au sol massages et acupuncture, c’est bien la preuve :

une-machine-cool.jpg

Le seul défaut de la Beauce, c’est que c’est un tout petit peu plat. Mais un couvert végétal, ça fait un peu comme une forêt vierge, si on faisait passer un ruisseau, on pourrait se croire en Amazonie.

du-couvert-a-perte-de-vue.jpg

Un gros plan de la chose. Ludovic est un homme épanoui qui remet souvent le couvert…

le-couvert-en-gros-plan.jpg


Bon, évidemment, après la Palinka, on n’y voit plus très clair. Alors, là, il y a un gros plan du mulch et de la terre, mais faut me croire sur parole :

une-photo-floue-du-mulch.jpg

Fabien.

 

14 commentaires sur « On a rencontré des agricoolteurs »

  1. De tres bonne idée qui germais deja pas mal de temps dans ma tete je suis au cameroun en voie de developper une agriculture de ce type.
    Si certains on des idées je suis pret a les écoutées, voir meme plus.A bientot de vous lire.
    Lignyph@yahoo.fr

  2. « Un Jardin sans travail du sol »:

    Guide disponible contre 5 € par chèque à:
    ATC – TCS : BP 90146 : 57004 METZ Cedex 1
    Tél: 03 87 69 18 18

  3. Pour ceux qui ne sont pas agriculteurs mais qui possèdent un jardin, je leur conseille d’acheter la brochure de dominique soltner  » un jardin sans travail du sol » 5€ ( j’ai pas d’actions rassurez-vous). C’est un bon moyen de pratiquer le semi direct, de voir et comprendre ce qui se passe vraiment dans un sol.

  4. Eleveur laitier,en TCS 5 années (galère), et maintenant en semi direct sous couvert depuis 1999,exploitant les couverts pour nourir et produir du lait; notre GAEC n’a trouvé que des aventage à cette technique. En effet, 20 mn /Ha soit 6 l de fioul/Ha ; les couverts nous ont permis d’abolir le maïs et ses problèmes(irrigation, soja ect…).Lévolution de l’exploitation: se passer de l’azote chimique :implantation de légumineuse en couvert, semi de céréale sur luzerne(déja en cour et trés bon résultat)enfin plein d’obtion ,enfin une réflexion sur notre metier de paysans.

  5. C’est exact, il est très difficile de faire du semis direct sous couvert totalement en bio. En revanche, l’utilisation globale de produits phytosanitaires, d’engrais, d’énergie et aussi l’investissement nécessaire en matériel, sont en forte baisse.
    Le roundup est utilisé une ou deux fois dans l’année, à environ un tiers de la dose habituelle, si ma mémoire est bonne, ce qui ne fait pas une dose énorme.
    Et puis, ils sont en train de travailler à éviter même ça. Il me semble que Ludovic a détruit ses derniers couverts par des moyens purement mécaniques.
    J’ai dans l’idée qu’une fois les techniques au point, l’utilisation de produits chimiques sera vraiment marginale.

  6. Très bien économiquement et un bon début du respect des sols mais la destruction du couvert végétal, des engrais verts, se fait au roundup, alors on peut en discuter ce serait intéressant….

  7. Il semblerait que la Palinka ait des propriétés amélioratrices de la mémoire. C’est pour ça que j’ai tout retenu.
    Et peut-être aussi parce que je connaissais déjà tout ça en théorie, grâce à Claude Bourguignon,entre autres, même si je n’avais jamais vu ce que ça peut donner sur le terrain. Et il me reste encore à voire fonctionner les machines.

    Je suis partant pour multiplier les rencontres, et ce qui serait encore mieux, c’est que tout doucement on aboutisse à des projets qui réuniraient paysans-cools, artisans-cools, distillateurs-cools, etc… Je rêve peut-être aussi.

    Mais après la journée de samedi, je me dis que bien des choses sont possibles…

    Fabien.

  8. Et si des rencontres comme ce samedi 23 pouvaient se multiplier avec des jardiniers-cools,des paysans-cools,des artisans-cools,des commerçants-cools,des prof-cools…..etc ,et peut-être même des politique-cools….pour que tous on communique COOL….dites moi si je rêve…….

  9. Pour quelqu’un ne connaissant pas le Semi-direct sous couvert, je trouve que tu as retenu et compris pas mal de choses. En tout cas, il y en avait au moins qui écoutait ce que Ludovic racontait!
    En tout cas, merci pour ce compte-rendu plein d’hum(o)u(r)s!
    Maintenant que vous connaissez le chemin, vous revenez quand vous voulez.

  10. Bravo pour le compte-rendu. Et je suis content que cela vous ai plu. La porte est ouverte pour voir l’évolution du sol et des cultures.
    Et comme tu le dis dans le dernier paragraphe, il y aurait moyen de lier d’autres « métiers » à ces cultures.

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