Ca se passe en Afrique, il y a quelque temps.
Il y a un blanc, ingénieur, ou ambassadeur, ou chef d’état, on ne sait pas. Peut-être américain, peut-être anglais ou belge. Probablement français.
Et un vieux dirigeant local, peut-être un roi ou un président d’un pays insignifiant sur la carte de la géopolitique mondiale. Peut-être un simple chef de tribu.
Les deux hommes sont dans une discussion plutôt animée, à propos de développement, de gros sous, des plans pour sortir le pays de sa pauvreté.
Et voilà que la conversation s’envenime, que le blanc s’énerve, et qu’au détour d’une phrase il lâche : « De toutes façons, votre peuple ne comprend rien. Il est inculte ».
Alors l’indigène se tait. Il soupire, se penche un peu sur son fauteuil, regarde le blanc d’un œil désolé dans lequel se mêlent tristesse et commisération.
Tout doucement, il répond :
« Tous les membres de mon peuple, du plus riche au plus pauvre, qu’ils vivent près du fleuve ou au bord de la mer, ou dans la forêt, dans ce pays qui manque cruellement de routes et d’écoles, comme vous le savez, tous savent reconnaître chaque plante, chaque arbre, chaque oiseau, chaque insecte, chaque mammifère. Ils savent leur donner un nom. Ils en connaissent toutes les habitudes, toutes les particularités et tous les usages.
Du sol où ils sont nés, ils savent tirer chaque jour de quoi nourrir leurs corps et leurs esprits bien mieux que ne le font tous vos supermarchés et vos chaînes de télévision.
Monsieur, mon peuple est peut-être analphabète. Illettré, c’est évident. Il ne sait rien de cette science que vous souhaitez nous vendre. Il n’a pas fréquenté vos université, ni vos bibliothèques. Il n’a jamais écouté Mozart, ni lu Freud. Et bien sûr, il ne regarde pas TF1.
C’est sans doute ça, que vous appelez être inculte ? »