Quelques réflexions sur l' »agriculture naturelle »

Beaucoup d’entre nous ont entendu parlé de Masanobu Fukuoka, paysan japonnais quasiment légendaire, inventeur l' »agriculture naturelle ». Tellement légendaire que j’en venais même à douter de son existence, ou de la performance de ses champs comme il l’annonce : sans rien faire sinon semer, récolter et épandre la paille, il obtient les meilleurs rendement de production de riz à l’hectare de son pays (en gros).

La lecture de son livre L’Agriculture Naturelle » (1985) m’a aidé à mieux cerner la démarche qui lui a permis d’aboutir à ce résultat qui au final n’apparaît donc pas invraisemblable. Démarche très peu abordée dans ses autres livres. Et démarche dont je ferai quelques notes succintes dans cet article, le mieux étant de lire le livre. Mon propos portera essentiellement sur son histoire racontée à partir de la page 179.

Après des exposés théoriques et à mon avis difficiles sur une critique de la science, de la « connaissance discriminante », il explique comment on met en place une ferme d’agriculture naturelle en pratique. Et raconte ses propres expériences sur la culture d’orge et de riz, qui lui a permis de « découvrir » sa méthode. En fait, je ne vois pas vraiment en quoi ce qu’il a fait pendant des décennies se distingue de la démarche scientique qu’il critique par ailleurs. J’ai retenu, je l’espère sans déformer, quelques éléments globaux qui pourra guider dans sa recherche, un lecteur de ce site pour découvrir quelle serait l’agriculture naturelle sous son climat (qui est forcément différente, le riz ne pousse pas par ici).

Il faut bien noter que Fukuoka n’a pas toujours effectué de l’agriculture sans labour, et même sans engrais et pesticides. Visiblement il les a abandonné progessivement. En cela, il ne s’est pas jetté d’emblée dans une démarche « pure », vierge de toute subtance produite par l’industrie. Il explique que son cheminenement est allé vers le rétablissement d’un équilibre naturel pour le sol, ce qui lui permettait à lui d’aller vers le moindre effort, le non-agir. Les labours ont été réduits en profondeurs et en fréquence, les épandages aussi.
Les hommes, en voulant violer les loi de la nature, notament avec le labour, se sont créé les conditions pour se donner du travail, après avoir rompu l’équilibre. Que telle pratique amène telle autre encore plus utilisatrice d’énergie et d’intrants, qui en amène d’autre, et ainsi de suite. Cela implique ce qu’on appelle dans la réflexion sur décroissance, une « fuite en avant« , et ce que Fukuoka appelle une « mouvement centrifuge » d’éloignement de la Nature.
Et il semble bien que l’effort à prodiguer pour des récoltes pas forcément proportionnels, soient effectivement toujours croissant dans l’agriculture chimique actuelle, cet effort étant fourni par le pétrole. Si l’on veut abandonner ces méthodes industrielles, on ne peut pas du jour au lendemain cesser de labourer, de mettre des produits…comme si l’équilibre n’avait jamais été rompu. Il semble qu’il faille obligatoirement passer par quelques années voire décennies d’évolution vers cet idéal du « non-agir », sans en appliquer les principes pendant ce temps.

Cela m’amène quelques interrogations dont les réponses pourraient m’être fournies soit par une pratique assidues de l’agriculture naturelle (ou du moins faire un bout de chemin dans ce sens), soit rencontrer quelqu’un qui effectue ce genre de culture (En France par exemple, il semble bien qu’un certain Jean-Marie Lespinasse ait effectué ce genre d’évolution dans son jardin près de Bordeaux, en plus rapide, mais sur une plus petite surface. Il ne doit pas être le seul, mais il est un des rares à être connu. voir aussi la réussite du jardin des editions Terre Vivante.)
-Fukuoka a-t-il eu une source de revenu autre qui lui a permis de préparer en toute sérénité sa terre? Probablement que non. Le cheminement qu’il a effectué demande de toute façon de la perséverance, d’intuition, du risque (non assuré financièrement) et surtout de Temps, chose que ne peuvent prendre nos amis maraichers amap et encore moins d’autres agriculteurs. Ce qui explique qu’ils ont plus tendance à « simplifier » leurs travaux en utilisant plus de produits chimiques, de tracteurs, bref en investissant dans du capital, selon une recette présentable au banquier qui octroie le prêt, qui donne des résultats éprouvés et couvert par les assureurs, pour avoir des résultats presque immédiats.
-Il me semble que les procédés qu’il décrit, ainsi que le cheminement pour y parvenir, a beaucoup de points communs avec les Semis Direct Sous Couvert Végétal. Si ce n’est que les agriculteurs que nous connaissons qui font cette méthode exploitent des surface bien plus grandes et utilisent des machines, ce qui implique quelques variations par rapport à Fukuoka. Le SDCV est-il bien là un rapprochement vers cette méthode?
-à priori comme je disais, on ne peut pas se lancer directement dans l’agriculture naturelle, sur une terre précédemment labourée. A moins de partir d’une forêt défrichée peut-être, mais cela pose d’autre problèmes encore notament « salissement » par des arbustres. Les années d’expérience, d’échec ou semi-échec, avec labour de moins en moins profond, étaient-elle vraiment indispensable? Si l’on est en Micro-Agriculture, et que nous faisons la synthèses des méthodes, la création de buttes initiales double-bêchées ne représente-elle pas toutes ces étapes, en accéléré, sans qu’il y ait une ou deux décennies de tatonnement? C’est ce que nous pourrions vérifier dans nos expériences.

Mon expérience personnelle reste très limitée, mais je tenais à faire part de quelques faits qui semblent se rapprocher de l’agriculture selon Fukuoka. Celui-ci écrit que l’agriculture naturelle ne cherche pas à considérer ce qui ne marche pas, pour ensuite essayer de l’améliorer, mais de partir de ce qui fonctionne déjà à haut rendements. Il est aussi question d’insectes et de maladies, qui ne viendraient s’en prendre qu’aux plantes pour corriger un déséquilibre de la Nature, concept qu’essaye de nous enseigner Fabien au Sens de l’Humus mais je me demande si tout est toujours aussi simple. Mes quelques expériences ont néanmoins été :
-la découverte d’un pied de pomme de terre « spontannée » au pied d’un arbre fruitier, qui restait indemne de doryphore, malgré la présence de quelques pieds cultivés à côté infestés. Je n’ai pas d’explication, si ce n’est de croire l’idée qu’il y a une forme « naturelle » à la pomme de terre et que celle-ci sait alors se défendre contre les nuisibles (non, il faut dire plutôt, ne pas appeller les insectes qui corrigeront le déséquilibre qu’elle sait être).
-en cete année 2007 pluvieuse, des pieds de tomates semi-spontannées, à peine aidées, en tout cas pas tutorées, n’ont pas été malades dans mon jardin, alors que toutes celles du pays sont mortes ou dans un état ultra-mildiouïsées. Il semble que naturellement, si les tomates peuvent pousser en climat auvergnat, c’est en septembre qu’elles doivent donner des fruits (malgré un juin juillet aout pluvieux) et c’est ainsi qu’elles ne tombent pas malades. Si on veut les forcer à en donner plus tôt, alors il n’y a pas de tomates, ou alors elles sont malades, ou alors forcément arrosées aux produits phytosanitaires, « naturels » ou pas…
Il y aurait aussi dans ce cas un rendement « naturel » de production, qu’il est vain de vouloir « violer ». Fukuoka raconte, concernant le riz, que dans les années 40 une lutte victorieuse a été mené contre la pyrale du riz. La pyrale a disparu. Mais les rendements de riz n’ont pas augmenté pour autant : un autre phénomène inconnu, moins visible qu’un ravage d’insecte, a quand même maintenu au même niveau les rendements.
Que dire à partir de ces quelques éléments donnés de manière trop désordonnés? On pourrait se reposer la question : l’agriculure naturelle à ultra-hauts rendement, mythe ou réalité. C’est bien là ce que nous aimerions tester, à l’aide de quelques hectares pas trop mal placés ni pré-massacrés, dont nous prendrions soins une decennie, sans être trop assujetis à des contraintes de production au début, de rentabilité économique en quelque sorte. Tout ces élements restent assez difficiles à réunir. En attendant, gardons le sens de l’humus.

10 commentaires sur « Quelques réflexions sur l' »agriculture naturelle » »

  1. Les rendements obtenus par Fukuoka sont loin d’être aussi mirobolants que le dit son éditeur. En fait, le seul rendement réellement défendu par Fukuoka est celui qu’il a obtenu avec les céréales à paille, par exemple en associant le riz et l’orge. D’un point de vue technique, il réalisait un semi direct de la céréale dans un couvert de trèfle blanc. Et il laissait la paille non-hachée. Pour accélérer sa décomposition, il apportait un peu de fumier de volaille. Autant de pratiques devenues aujourd’hui très à la mode. Pour en savoir plus, lire http://www.ecole-agriculture-durable.eu/app/download/8886501/BARBIE2015.pdf

  2. Je vais pour ma part tester Fukuoka sur 1300 m2, pour nourrir ma famille tout en continuant de travailler aux 4/5e dans un ‘vrai’ métier. Je vais donc chercher un équilibre délicat entre productivité en surface et productivité en travail.

    Rendez-vous dans cinq ans…

  3. Mais l’agriculture paysanne, je pense, n’est pas qu’agricole et c’est cela qui la différencie de sa version industrielle, vers laquelle elle tend inexorablement si on médiatise par l’argent les rapports entre les personnes, ou plus généralement si on ne voit pas comment vivre en société autrement que par l’échange de ceci contre cela.

    Si la seule différence entre l’agriculture industrielle et paysanne, c’est l’usage de plantes pérennes, alors on est mal barré ; cela veut dire que l’on reste dans une société de travail, où chacun occupe un rôle spécialisé dans différentes chaînes de production efficaces.

    Non, il y a loin de parler de plantes pérennes à parler de permaculture qui, il me semble, suppose une diversité de cultures complémentaires en un même lieu, et donc une productivité moindre pour telle plante particulière que l’agriculture industrielle, mais une qualité de vie surplace que permet justement cette diversité. L’efficacité et la robustesse d’une parcelle de culture, c’est vraiment le petit bout de la lorgnette technicienne. Et surtout ce sont des arguments à double tranchant car les bonnes pratiques culturales sont intégrables en partie dans l’organisation industrielle du travail, c’est-à-dire en gardant la même recette, mais en changeant tel ingrédient par ci par là pour diminuer les charges de l’agrobusiness, et donc profiter des effets d’échelle pour déposséder toujours plus radicalement la société de ses propres moyens de subsistance.

    La permaculture remet en cause la notion d’échange en prétendant (et montrant) que la diversité et la richesse peuvent s’obtenir sur place, au contraire des sociétés industrielles qui se développent toujours par généralisation des relations d’interdépendance échangistes, l’échange permettant de rafiner toujours plus la division du travail, et d’envoûter tout le monde par des démonstrations de puissance reposant sur le bluff technologique.

    Et c’est bien cette division du travail qui caractérise notre société, et son système de rôle, qui nous fait oublier qu’un paysan n’était pas seulement agriculteur et que cette profession est une pure invention qui va avec l’invention de l’économie. Tant que nous verrons des petits paysans passant toutes leurs journées à produire et à ne faire que ça, nous restons seulement à un stade précapitaliste ou de développement inférieur, mais certainement dans l’amorce d’une bifurcation technologique et d’un changement de civilisation.

  4. Il y a encore d’autres complications dans les calculs des rendements et des rentabilités.
    Chez nous, la main d’oeuvre est chère, les agriculteurs sont suffisamment capitalisés pour se mécaniser, et le pétrole est bon marché (de moins en moins, mais encore bon marché)… Tout ça donne un avantage compétitif à une agriculture industrielle.

    Dans les 3/4 du monde, la main d’oeuvre est bon marché, la capitalisation des paysans est quasi nulle, et le pétrole est cher (par rapport au coût de la main d’oeuvre). Ca rend l’agriculture paysanne bien plus compétitive. Ce qui fait dire à la FAO que l’introduction d’une agriculture biologique, toujours paysanne, mais avec un bon support technique, ferait largement progresser la production dans ces régions (notons d’ailleurs que ce rapport de la fao (mai 2007) plebiscitait complètement l’agriculture paysanne, et parlait même de plantes pérennes (ils ont pas mis permaculture, mais c’était pas loin).

  5. Deun :  » On peut déjà diviser les rendements par 4, par rapport à une agriculture sans intrants/importations.  »

    Erreur. J’aurais du dire : on peut diviser les rendements par 4 par rapport à une agriculture vivrière, c’est-à-dire en auto-consommation ou en vente directe locale.

    Je pense d’ailleurs que cette dimension (l’aval) n’est pas tellement prise en compte par les réflexions sur l’efficacité des techniques agricoles.

    Plus la vitesse de la production s’accroît, plus cela génère du travail en aval.

    Intuitivement, je pense que c’est le travail en aval de la production agricole industrielle qui plus important que l’amont.

    Jeuf avait écrit un article (*) sur le gaspillage en aval de l’agriculture industrielle.
    En fait je pense que ce gaspillage est structurel. Ce n’est pas réellement un gaspillage, mais une « crise du contrôle » (Beniger). La crise du contrôle est concomitante à l’industrie : les contrôles ajoutés pour s’ajuster à la vitesse de production ne font que générer d’autres crises plus graves.

    J’ajoute un chiffre donné par notre maraîcher Amap sur un transformateur industriel : 1/3 du côut matières premières (légumes), 1/3 frais de structure (salaires, etc), 1/3 packaging (conditionnement emballage, etc). Ce dernier 1/3 disparaît quand il nous donne directement des tomates que l’on mange en salade ou en tarte.
    Par contre il travaille avec cet industriel car il y trouve un débouché pour ses tomates produites en masse l’été. Cela lui paie les serres qui profiteront aux Amap l’hiver.

    Deun

    (*)
    http://www.decroissance.info/Economie-de-croissance-economie-de

  6.  » y a plein d’autres travailleurs impliqués, et non pas seulement l’agriculture sur le champs  »

    Effectivement.

    Rien qu’en prenant en compte l’aval de la production agricole et
    les travailleurs saisonniers, en France, j’avais calculé qu’il y avait 4 fois plus de travailleurs que d’agriculteurs (*).
    On peut déjà diviser les rendements par 4, par rapport à une agriculture sans intrants/importations.

    Il faudrait ajouter aux calculs l’amont, c’est-à-dire la production du matériel, des engrais, des semences, du carburant, sans oublier la R&D publique, les travailleurs des banques, assurances, administrations, liées à l’agriculture etc. Calcul un peu plus compliqué.

    (*)
    https://senshumus.wordpress.com/2007/01/15/ne-pas-crier-inconsiderement-famine/#more-190

    En France, pour les fameux 1,3 millions d’agriculteurs, on a 800.000 saisonniers, 560.000 travailleurs de l’industrie agroalimentaires, 547.000 dans la distribution, 110.000 travailleurs (selon mon estimation) dans le transports de marchandises alimentaires, 20.000 techniciens et cadres agricoles de l’Etat… toutes ces catégories, très certainement sous-estimées, sont liées à l’aval rendu nécessaire par le mode de production, auxquelles il faudrait ajouter celles liées à l’amont (fabrication et transport d’engrais, du matériel mécanique, de la production de semences et de plants, etc.).

  7. Si on veut comparer le rendement par travailleur impliqué dans le processus de production pour l’agriculture conventionnelle par rapport à l’agriculture naturelle, il ne faut pas oublier aussi de prendre en compte que dans l’agriculture conventionnelle il y a plein d’autres travailleurs impliqués, et non pas seulement l’agriculture sur le champs : il y a les personnes qui développent et produisent les produits chimiques, ceux qui les transportent, ceux qui les vendent, ceux qui tentent de dépolluer après coups, ceux qui produisent les machines agricoles, etc…

    Ensuite il ne faut pas se limiter uniquement au rendement mais à l’utilité de la production : est-ce que l’on produit pour que des gens consomment la production ou pour toucher des subventions quitte à bruler une partie de la récolte.

    Autant de chose qui rendent très difficile une comparaison entre ces deux modes d’agriculture.

  8. « l’agriculture naturelle à ultra-hauts rendement, mythe ou réalité »

    Réalité, sans aucun doute, si on en juge par ce qui a pu être réalisé historiquement dans pas mal de coins du globe, bien avant Fukuoka.
    Le seul point sur lequel une agriculture naturelle sera indéniablement plus faible (et beaucoup plus faible) que l’agriculture conventionnelle, c’est le rendement par travailleur impliqué dans le processus de production.

    Pour le rendement par unité de surface, on retrouve les mêmes ordres de grandeur, avec une différence fondamentale : une seule production à la fois en agriculture conventionnelle, plusieurs productions simultanées dans le temps et l’espace pour les agricultures naturelles. Ce qui rend la comparaison précise difficile.

    Exemple : 70 quintaux par hectare dans un champ de blé en conventionnel, à comparer avec 40 quintaux de riz + 50 000 oeufs de canard (4 tonnes environ) + 1 tonne de poisson + diverses production marginales dans le cas de rice-duck farming. Lequel des deux produit le plus ? Si on se base sur la production principale, c’est le conventionnel. Si on se base sur la production totale, c’est le rice-duck farming.

    Mais la quantité de travail à mettre en place dans le second cas est beaucoup plus importante…

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