Comme l’indique le nom de ce blog, ici on parle d’humus, et qui dit humus dit matière organique, vu que c’est à partir de cette matière que se forme l’humus. Ce lien logique entre les deux peut pourtant entraîner des pratiques néfastes, c’est ce dont je vais parler ici…
Comme on le sait, la majorité des sols cultivés actuellement manque d’humus. Pour qu’il y ait de l’humus, il faut qu’il y ait un apport suffisant de matière organique, sauvage (par exemple les feuilles mortes dans les forêts, les tiges sèches dans les prairies, sans oublier les racines ainsi que les déjections et cadavres d’animaux), ou bien apporté par les gens qui cultivent le sol (sous forme de mulch, fumier, brf…). Mais pour qu’il y ait de l’humus il faut aussi une vie microbienne suffisamment active pour digérer cette matière organique, et c’est beaucoup moins connu. Si dans beaucoup de cas un manque d’humus est dû à un apport trop faible en matière organique par rapport à la vitesse de minéralisation de cette matière – c’est par exemple le cas dans la plupart des terres céréalières sous nos latitudes – dans d’autres cas c’est dû à une activité microbienne trop faible. Dans ce cas des apports trop importants en matière organique auront tendance à ralentir encore cette activité.
C’est ainsi qu’à la page 40 du désormais célèbre Le sol, la terre et les champs, Claude Bourguignon parle de certains sols dans lesquels la matière organique évolue lentement, et tout apport excessif de litière déplace la dynamique des sols vers la formation de tourbières, c’est à dire de sols stériles. La seule façon de faciliter l’évolution de ces sols est de les labourer, de les aérer régulièrement afin que le soleil, les pénétrant, y favorise, par sa chaleur, la multiplication des microbes qui transforment et minéralisent cette matière organique. Et sur les tourbières ne poussent plus que les carex, les spaignes et les bouleaux nains, précise-t-il.
L’année dernière, je m’inquiétais de voir à quel point de mauvaises pratiques culturales mettent en péril la santé d’un sol, cette année en revanche je remarque que dans le carré mal en point les mycéliums affamés digèrent totalement des quantités conséquentes de brf en à peine trois mois d’été ou d’automne, alors que ce même brf stagne en surface dans l’autre carré, celui où la terre n’est pas mal en point, mais a d’autres caractéristiques. Comme je le disais il s’agit à la base d’une terre argileuse, tendant à se saturer d’eau en hiver et en toute période fraîche et pluvieuse (c’est souvent le cas au printemps dans ma région, sauf année exceptionnelle). Cette saturation lui donne une importante inertie thermique, et concrètement la rend froide et humide dès quelques centimètres de profondeur (par analogie avec le permafrost sibérien, là c’est la permaflotte). Dans certains endroits où il n’y a pas de buttes, il y pousse du jonc, des carex, du saule, et les graminées y font des feutrages à la surface du sol, des sortes de tapis de racines qu’on peut arracher comme une moquette. S’il pleut beaucoup ça a parfois des airs de marécage ou de tourbière. Des sols comme ça, il y en a dans toute région où le volume de pluie reçue est de loin supérieur au volume d’eau évaporé par le sol, soit parce-qu’il fait frais, soit parce-qu’il pleut beaucoup, soit les deux (c’est pourquoi les tourbières sont nombreuses en Irlande, en Ecosse et dans les montagnes arrosées).
Dans le carré mal en point j’apporte de la matière organique (compost et brf) et j’évite de le laisser à nu, suivant les recommandations que vous trouverez dans de nombreux bouquins de jardinage bio.
Dans l’autre je fais l’inverse : les apports de matière organique sont très modérés, et je désherbe, contrairement aux recommandations que vous trouverez dans de nombreux bouquins de jardinage bio. Je le fais pour trois raisons en lien avec la vie microbienne du sol.
La teneur en eau
Un sol a deux moyens de perdre de l’eau : par évaporation directe ou par l’évapotranspiration des plantes. L’évaporation directe est freinée par la présence d’un mulch ou par l’enherbement, qui limitent l’action du vent sur la surface du sol, et qui créent un ombrage.
Dans certains cas, l’enherbement peut malgré tout faire baisser l’humidité du sol, par l’évapotranspiration opérée par les plantes, notamment des plantes à croissance rapide dans des conditions météo relativement chaudes et sèches.
Dans d’autres cas, l’enherbement augmentera l’humidité du sol, notamment s’il s’agit d’espèces à croissance lente (qui évapotranspirent peu), dans des conditions météo fraîches et bien arrosées. C’est le cas de figure que je détaille ici.
La température
En lien direct avec le point précédent, la température de l’horizon superficiel d’un sol sera plus fraîche s’il n’est pas directement exposé au soleil, et son inertie thermique (capacité à ne pas changer rapidement de température) sera d’autant plus importante qu’il est humide. L’enherbement et la présence d’un mulch contribuent donc à maintenir la température du sol basse.
L’air
Comme nous l’avions mentionné dans un article précédent, plus un sol est humide, moins il peut contenir d’air, notamment si cette humidité est stagnante, car l’eau et les argiles en suspension tendent à prendre la place de l’air. En conditions fraîches et humides, l’enherbement et la présence d’un mulch contribuent donc à rendre la couche aérobie d’un sol plus superficielle et plus fine.
Ces trois éléments pris ensemble, on comprend aisément que dans des conditions fraîches et humides, maintenir un sol enherbé ou sous mulch tendra à augmenter son humidité, à garder sa température basse, et à limiter l’espace que les organismes aérobies peuvent occuper. Ceci diminuera l’activité microbienne, et la biomasse végétale s’accumulera car les quantités dégradées seront inférieures aux quantités apportées. Autrement dit, on aura un engorgement en matière organique. Dans ce cas, continuer à apporter du mulch, du fumier ou du brf ne fait qu’aggraver le problème, et on peut se retrouver à terme avec un marécage, une lande acide à fougère, ou une tourbière. Les mêmes pratiques qui fertilisent un sol en manque de matière organique tendront à stériliser un sol engorgé en matière organique.
Ainsi de bonnes pratiques agroécologiques visent à ne pas rendre un sol stérile, et cela passe par deux façons de faire, à appliquer selon les conditions qu’on rencontre :
– éviter de transformer le sol en désert, c’est à dire éviter qu’il reçoive moins de matière organique qu’il n’en minéralise, et éviter qu’il se dessèche. Pour cela on apportera de la matière organique en quantités conséquentes, en laissant une partie de cette matière en surface (mulch), et on renouvellera les apports à mesure que le sol les digère (en prenant soin de ne pas épuiser pour cela un autre terrain).
– éviter de transformer le sol en tourbière, c’est à dire éviter qu’il reçoive plus de matière organique qu’il ne peut en digérer, et éviter qu’il s’engorge en eau. Pour cela on apportera du mulch (herbacé de préférence car dégradé plus vite) en quantités modérées, et on s’attachera à stimuler la vie microbienne en aérant le sol et en laissant le soleil réchauffer et ressuyer les horizons supérieurs.
Mais là aussi, mercuriale et euphorbes n’indiquent pas forcément une pollution.
Dans ce cas, soit il faut avoir recours à des analyses chimiques, soit dans le doute s’abstenir et aller jardiner un autre lieu.
Concernant les plantes indicatrice d’un sol pollué : ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de datura qu’il n’y a pas pollutoin. en fait les graines de datura sont heuresement pas dispersée partout dans notre pays. Donc on peut avoir un endroit pollué sans datura. De même, la Renouée du japon peut indiquer un sol pollué, mais les graines ne sont pas partout. Par contre, je pense que la mercuriale, et autre euphorbiacées, ont leurs graines un peu partout dans le sol et leur présence est mauvais signe…
Dans l’article cité, John Jeavons donne une idée de la production de sol fertile par la nature :
« Dans la nature, il faut en moyenne 500 ans pour produire 2,5 cm de terre fertile ; il faut, de plus, environ 15 cm de terre fertile pour produire de bonnes plantes en agriculture. Cela veut dire que l’élaboration d’un bon sol agricole requiert 3000 années. Aux Etats-Unis, nous avons détruit 75 % de notre sol arable en 220 années, de par nos pratiques agricoles. Il nous faut maintenant renverser la vapeur. »
Christophe.
Bonsoir Hélène, merci pour ton commentaire
C’est donc de la glaise, avec par dessus des gros graviers pour drainer plus tard la terre qu’on n’a pas encore achetée
Je vais te filer un scoop : la glaise est cultivable. J’en ai chez moi, et je fais pousser des trucs dessus. Certes pas tout, mais pas mal de plantes cultivées s’en accomodent fort bien. Par exemple les fèves, les bettes, les cucurbitacées.
La glaise est typiquement le genre de terre qui retient beaucoup l’eau, et qui peut donner lieu à des situations d’engorgement en matière organique. Donc y étaler du compost ne sera pas la meilleure chose à faire. Tu pourras y essayer des buttes double-bêchées, comme ils en parlent dans le lien donné par Christophe, ou aussi dans les articles du blog tagués « biointensive ».
(super chère et comment savoir si elle n’est pas polluée?)
Très difficile à savoir sans matériel compliqué. Disons que s’il y pousse du datura ça indiquera probablement une pollution, mais une terre peut aussi être polluée sans qu’il y ait dessus quoi que ce soit qui l’indique (le comble étant de se faire livrer une terre issue d’un tas régulièrement aspergé de désherbant, ça s’est déjà vu)
Mais combien d’années pour créer 20 cm d’humus sur 200 m2 ??
La teneur en humus ne se mesure pas en cm. Ce qu’on appelle l’humus est un ensemble de molécules (humine, acides humiques, acides fulviques…) issues de la dégradation de matière organique par les animaux, champignons et bactéries du sol. Dans un sol qui « marche » bien, l’humus est lié aux argiles, il n’est pas visible ni mesurable directement. Ce qu’on peut mesurer en cm en revanche c’est l’épaisseur de litière (par exemple sur un sol de forêt) ou l’épaisseur de l’horizon aérobie – celui où il y a de l’air – du sol (pour cela tu plantes une baguette et un mois après tu regardes jusqu’à quelle profondeur il y a des mycéliums).
Ou oublier le potager a cet endroit, pour y faire pousser des plantes anti pollution plus efficaces que la ptd? Lesquelles?
Un peu effrayant cette histoire de mercure. Je pense que Fabinoo pourrait te répondre mieux que moi sur ce sujet. Il te dirait peut-être aussi que si tu cherches à cultiver un terrain moins ingrat que celui-là à Montreuil, il cherche justement des gens motivés.
j’ai deviné ce que pouvait être la MO, mais pas le brf…
Le brf c’est le bois raméal fragmenté, c’est à dire des copeaux de petites branches d’arbres, non résineux de préférence. Sur un sol ne risquant pas les engorgement en matière organique, le brf permet de créer un humus similaire à celui des forêts de feuillus. Ce genre d’humus se minéralise lentement (par rapport à l’humus des prairies par exemple), aussi les gens qui en font de gros apports sur des terrains en manque de matière organique constatent souvent d’importantes améliorations.
Si quelqu’un a des idées de bouquins et/ou liens sur la question, merci beaucoup!
La bibliographie commentée (un des premiers articles du blog) donne pas mal de références intéressantes. Pour ma part les deux bouquins que je consulte le plus fréquemment sont « How to grow more vegetables » de John Jeavons et le « Petit guide du jardinage biologique » de Jean-Paul Thorez. Mais pour toi ça dépend de ce que tu cherches à apprendre.
Tiens tiens… On retrouve Korrotx au Sens de l’Humus!!!
J’ai 2 pb docteur: 1/ on a un jardin a Montreuil qui n’a pas de terre… (anciens batiments industriels que nous avons fait tomber pour creer un jardin) C’est donc de la glaise, avec par dessus des gros graviers pour drainer plus tard la terre qu’on n’a pas encore achetée (super chère et comment savoir si elle n’est pas polluée?) Il nous faudra donc utiliser notre compost (qui n’a que 6 mois pour l’instant!) et l’étaler sur cette terre pour recréer de l’humus. Mais combien d’années pour créer 20 cm d’humus sur 200 m2 ??
Christophe m’a envoyé ce lien super (http://www.kokopelli.asso.fr/articles/j-jeavons.html) ou il est dit qu’on peut faire en 8 ans 1/2 l’équivalent de 500 ans d’humus. Ca fait combien de cm d’épaisseur, ça?
2/ Les soucis ne sont pas finis… Dans le petit carré de terre existant (ou vit un grand érable) nous avons retrouvé l’équivalent d’un sceau de piles… Ca fait 2 ans que j’y fais pousser des pommes de terre (il parait que ca absorbe bien le mercure?) mais me faudra t il des centaines d’années pour enlever cette pollution? Ne vaut il pas mieux jeter cette terre (et ou?) pour en mettre une autre pour le potager? Ou oublier le potager a cet endroit, pour y faire pousser des plantes anti pollution plus efficaces que la ptd? Lesquelles?
Si quelqu’un a des idées de bouquins et/ou liens sur la question, merci beaucoup! (je suis totale novice et ne demande qu’a apprendre!) (j’ai deviné ce que pouvait être la MO, mais pas le brf…)
Dans ce genre de sols facilement engorgés, les apports en MO doivent être bien dosés. Pour favoriser l’action du soleil, mieux vaut incorporer la MO que la laisser en surface, et mieux vaut faire de petits apports successifs qu’un gros tous les 2 ans, petits apports à renouveler dès que tu vois que ça se digère bien.
Je pense qu’il n’y a pas de quantités chiffrables, c’est à voir selon chaque endroit. L’équilibre à trouver est d’apporter à manger sans faire baisser l’activité microbienne, c’est à dire en gardant la surface suffisamment chaude et ressuyée.
S’agissant du jardin à Montreuil je ne l’ai pas vu donc difficile de savoir s’il y a engorgement ou pas. « plein de MO » n’est pas forcément synonyme d’engorgement.
Considérant que la terre du jardin de Montreuil est déjà pleine de MO, faut-il déduire de cet article qu’on doit urgement retirer tous les paillis qu’on a mis dessus?
Wouéé, un article de Korrotx.
Qui nous rapelle que tout excès est à éviter…
Sur les sols humides, une fois qu’on les a un peu décompacté, on fait peut mettre un peu de MO, histoire de recruter des vers de terre opur continuer le travail de décompactage. Partant d’une sorte de bourbier, le but n’est-il pas d’aboutir à une bonne terre qui justement ne sera pas trop humide et ne ressemblera plus jamais à une tourbière? est-ce possible?
autre chose, lorsqu’on répand au sol la MO (compost ou herbe) sans l’enfouir, est-ce qu’on est pas sûr de ne pas trop en mettre? Sachant que ce sont les vers de terre qui enfouiront ce qu’il faut, ce qu’il y a en trop il ne pourront rien en faire et ça resterait en surface sans faire de mal (s’il n’y en a pas en quantités étouffantes).