Article initialement publié sur le blog 1000 idées pour la Corse, idée n°71.
« Il y a un an, au salon de l’agriculture, notre cher président de la République avait déclaré aux représentants de la profession que l’écologie, ça suffisait, et qu’il était temps de se remettre à l’agriculture. Outre qu’il contredisait là totalement les orientations du Grenelle de l’environnement décidées quelques mois plus tôt, il montrait qu’une fois de plus, il s’exprimait un peu vite sur un sujet qu’il ne comprend absolument pas.
Certes, il ne faisait là que s’inscrire dans la lignée d’une agriculture dominante autiste, qui a toujours considéré que le champ cultivé idéal ne devait comporter qu’une espèce vivante, celle destinée à être récoltée, et que tout surcroît de biodiversité dans l’écosystème cultivé ne pouvait qu’être néfaste à la production, l’écologie s’opposant par nature à la productivité. Lieu commun largement ancré dans la culture occidentale, et qui pourtant est en passe d’être battu en brêche, à la fois par l’action déterminée de quelques marginaux, mais aussi désormais par les conclusions scientifiques relayées au plus haut niveau, à savoir l’ONU.
En mai 2007, déjà, une conférence internationale sur l’agriculture biologique et la sécurité alimentaire, sous l’égide de la FAO, avait conclu que l’agriculture biologique était sans doute aussi efficace que l’agriculture industrielle pour nourrir le monde, et incomparablement plus efficace pour réduire la pauvreté, créer des emplois, assurer la viabilité alimentaire à long terme, améliorer la santé des consommateurs, du nord comme du sud, atténuer les effets des changements climatiques, etc.
Le rapport issu de cette conférence est un modèle d’intelligence. Il contient tout simplement l’ensemble de la marche à suivre pour faire passer l’ensemble de l’agriculture mondiale en production biologique sans impact négatif sur la sécurité alimentaire ou le prix des produits agricoles. Il n’est pas seulement axé sur une agriculture biologique « conventionnelle », mais insiste aussi sur « la nécessité d’intégrer aux
systèmes de production biologique des cultures pérennes, et notamment des variétés
agroforestières » (§26), et donne « son appui à une Initiative mondiale pour des systèmes alimentaires écologiques et éthiques, qui serait mise en oeuvre par la FAO et chargée d’étoffer les connaissances mondiales en matière d’agroécologie et de favoriser l’établissement d’un environnement
stratégique porteur pour les systèmes alimentaires néotraditionnels; » (§66).
Bien entendu, le rapport a été quelques mois plus tard désavoué par le président de la FAO, et la crainte était grande de ne plus jamais en entendre parler. Mais l’ONU (à laquelle appartient la FAO) a plus d’un tour dans son sac, et c’est sous la forme d’un récent rapport du Conseil des droits de l’homme que vient le coup de grâce pour l’agriculture industrielle.
Cette fois, on s’embête pas. Le rapport parle directement d’agroécologie et confirme le précédent, en l’enrichissant de nombreux résultats d’études obtenus en 4 ans. Les titres des paragraphes sont éloquents : « L’agroécologie accroît la productivité au niveau local » ; « L’agroécologie réduit la pauvreté rurale » ; « L’agroécologie contribue à l’amélioration de la nutrition » ; « L’agroécologie facilite l’adaptation au changement climatique »…
Bien entendu, ces deux rapports se focalisent principalement sur les pays pauvres, pour lesquels l’urgence est grande de trouver des solutions viables. Mais l’agroécologie est aussi d’un intérêt primordial pour les pays riches, et notamment les régions comme la nôtre qui souhaitent miser sur la qualité de leur production : la qualité de la production obtenue par des méthodes agroécologiques est en général bien supérieure à celle des produits obtenus par des méthodes industrielle. Or, comme le souligne Marc Dufumier, un pays comme la France, et bien entendu une région comme la Corse, devraient miser avant tout sur la qualité. D’autant que l’agroécologie assure aussi la quantité…
Nous devrions de plus miser ici sur notre histoire agricole (particulièrement en Balagne). Comme le soulignent les agronomes Marcel Mazoyer et Laurence Roudart*, « on peut penser que le XXIème siècle verra se développer des systèmes agraires […] hautement productifs et durable, associant étroitement cultures annuelles, élevage et arboriculture […] Des systèmes de ce genre, exigeants en main-d’oeuvre, peu exigeants en ressources non renouvelables et peu polluants, ont d’ailleurs existé autrefois dans les régions difficiles et relativement peuplées d’Europe (châtaigneraies de Corse, des Cévennes…, et diverses formes de cultura promiscua du pourtour méditerranéen). »
L’agroeculugia ? L’avemu inventata noi ! Alors, qu’est-ce qui nous interdit de la remettre au goût du jour, dans un de ces systèmes néotraditionnels dont parle le rapport de la FAO** ?
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* Marcel Mazoyer, Laurence Roudart, Histoire des agricultures du monde, Points Histoire.
** Et c’est bien ce que nous comptons faire en Balagne, avec la création en cours d’une association idoine. »
Article qui a toute sa place ici, en effet…